JulesVerne
Séisme dans ma ville.
Mots imposés en gras
On nous avais pourtant assuré que ma ville était l'une des villes de France où il fait le plus bon vivre, à coups de renforts médiatiques, de graissage de pattes, subventions municipales en direction des hebdos nationaux, et nous, citoyens de seconde zone, on y a crû, bêtement, avec notre pognon dilapidé dans nos impôts locaux.
Bon, certes, Nantes, n'est pas une favela à ciel ouvert, c'est verdoyant, l'herbe y pousse grassement, autant dans nos salles de bains sophistiquées que dans les jardins publics ; les transports verts sont pratiqués par les petits LU comme nous, cuisiné au beurre de Guérande par les voix de radio Fipettes du tramway à chaque arrêt, l'ambiance est mi-sel, mi-caramel. On nous fait bouffer du macaron, boire du muscadet, sentir du muguet et voir des éléphants, des clébards, des monstres marins,des hérons et des géants mécanisés. Que demande le peuple ?
Et bien déjà , à tirer son coup sans coup férir au petit matin.
Et ce jeudi là, après une nuit nantaise arrosée, où mon foie prit cher au Remorqueur jusqu'à 05h00 du mat' (putain ce Ti Punch' de malade), je finissais dans les bras d'une belle inconnue aussi torchée que moi. Je n'allais pas par quatre chemins, lui prit la bouche et les hanches, c'était bon, elle m'accompagna jusqu'à chez moi. Nous nous déshabillions, nous fîmes l'amour, sauvagerie improvisée. Soudain, le lit se mit à trembler, les meubles aussi, un râle interminable sortait de ma gorge, les cris de la demoiselle (c'était quoi son prénom déjà?) s'intensifièrent, tout grondait de plus en plus fort dans mon appartement, çà secouait comme jamais, je crus que l'effet du Ti Punch fut la cause de ces vrombissements intenses.
En fait, quand t'es bourré tu baises mal. Les cris s'arrêtèrent, « arrête, arrête !!!! » , s'époumona t-elle, avant de se retirer. A cet instant, toute ma
vaisselle se fracassa par terre, glissant de l'étagère de ma cuisine pour s'écraser dans un fracas strident au sol. Lolita, Violetta, Juanita, je ne sais plus, bordel, son prénom c'était quoi déjà ?, se releva, prit sa jupe simili cuir en main, son petit sac marron d'où ressortait à peine dévoilé le bout d'un tampax usagé dégueulasse, s'enfuit aussi vite que le temps que j'avais mis à bander en la pressant contre moi.
Je voyais bien qu'il y avait une secousse, mais j'étais encore allongé sur le dos, dans mon plumard, la queue bien dressée. Je m'en contentais un court instant. Ne pas être allé au bout, çà m'emmerdait et je restais focalisé sur cette sensation d'inachèvement.
Je reprenais mes esprits en percevant peu à peu les hurlements alentours. Les voisins parcouraient les couloirs et dévalisèrent les escaliers de l'immeuble en un vacarme assourdissant.
Quelle heure pouvait-il être bon sang ? Çà se mit à trembler de partout, quelqu'un frappa à ma porte en s'exclamant « Y'a quelqu'un ? Sortez vite, c'est un tremblement de terre !!! », avant de s'enfuir par pas précipités et de plus en plus étouffés jusqu'au bout du couloir où l'homme descendit l'escalier.
Nom de Dieu, un séisme dans ma ville ? !!! Pas possible, au
Japon, ok, mais ici, à Nantes ? Dans cette jolie ville où il fait si bon vivre, c'était quoi ce délire ?
Je me relève du plumard, un vacarme effroyable s'intensifie, je ne parviens que difficilement à trouver mon équilibre tant cela secoue, capte mes clés de bagnole au vol, empoigne avec l'autre main la poignée de ma porte d'entrée, l'ouvre d'un geste, je cours à poil dans les couloirs que je ne reconnais plus, tous fissurés, et me retrouve ballotté dans tous les sens. Je marche comme un crabe sur une plage rocheuse bretonne.
Là je me dis, bordel, à quand le rattachement de Nantes en Bretagne, çà se trouve, cette saloperie de tremblement de terre ne serait pas arrivé, Dieu nous aurait protégé si on était bretons, merde !
En descendant l'escalier à toute blinde, je vois ma belle inconnue au pied du 1er étage, étalée par terre, une mare de sang entourant sa nuque et ses long cheveux noirs, tout ce rouge autour. Un extincteur à proximité. Crâne fracassé, çà avait dû tomber d'en haut. Le cœur ne battait plus. Je débandais aussi sec. Posais ma main tremblotante sur ses yeux pour les fermer, une larme coula sur sa gorge.
Je fuis jusqu'en bas, sorti de l'immeuble en me dirigeant vers ma caisse. Un vrai cataclysme, des incendies partout , Nantes illuminé. La tour de Bretagne n'apparaissait pas à l'horizon, le gratte ciel s'était effondré, de l'eau ruisselait partout en contrebas des trottoirs, l'asphalte des rues se fissurait dans tous les sens. Ma 4 L était encore là, comme un dinosaure improbable et immortel. Nantes est une ville surréaliste, nous avais toujours dit l'office de tourisme reprenant les mots d'André Breton pour vendre la ville. Çà n'avait jamais été aussi vrai qu'à cet instant.
J'enfonce la clé dans la serrure, çà tremble tellement que je crains d'y casser le bout de clé à l'intérieur, j'ouvre la portière, retire la clé, m'écroule sur mon siège, enfonce la clé de démarrage, la tourne, et là..... voyant d'essence s'allume, j'ai beau appuyer sur la pédale d'accélérateur, çà ne démarre pas. Non, mais tu le crois çà, tu le crois çà ? Plus de
carburant dans ma 4 L ? Bordel, j'avais fais le plein il y a 1 semaine ok, mais il m'en restait j'en suis sûr.
Tout à coup , la route se fissure en son centre et tout mon immeuble s'enfonce dans un trou béant, je sors paniqué de ma 4 L, à poil, démuni, et là je vois un type en train de siphonner tout accroupi , mon réservoir. Je lui file un coup de pied à la tronche, l'insulte d'enculé, reprend son jerrycan, tout en le matraquant de mon talon.
Je remplis mon réservoir, remonte et démarre. Vroum Vroum !!! Ce coup ci , c'est parti, Titine va me faire son trajet le plus important de ma vie, sauve moi ma belle !
On fonce, évitant les gens paniqués qui tentent de rentrer de force dans ma 4 L, ou d'en grimper sur le toit dans un désespoir. Je suis nantais, on m'avait loué notre solidarité, ville socialiste. Pourtant, là, j'avance seul, j'en ai rien à carrer, je veux juste sauver ma peau. L'humanisme a ses limites. Animal, instinct de survie. Un fauve en cage, j'évite les trous qui se présentent, la ville est devenue chaos, les ponts n'ont pas tenu, effondrés. Seul le Pont Tabarly tient encore la barre et la marée. Je l'emprunte. Je m'évade, le tremblement s'est arrêté pourtant, mais je fonce tout droit sans regarder derrière.
Et si c'était l'occasion d'un nouveau départ, d'un retour à zéro ? D'une nouvelle vie ? L'horizon me tendait les bras, sur la route. Et Nantes s’effondrait derrière moi. Nantes, une ville où il fait bon vivre , nous avaient-ils dit, Nantes n'existe plus, elle a disparu. A terre, les Vautours !